« Cœur d’Aryenne », le classique congolais.

I- Biographie de l’auteur :
MALONGA Jean - Présence Africaine Editions
Né le 25 février 1907 à Kibouendé au Moyen-Congo (l’actuel Congo Brazzaville), Jean Malonga est un écrivain congolais et un sénateur de la IVe république française.
À l’âge de 15 ans, il devient infirmier à Brazzaville. À 35 ans, il passe son certificat d’étude élémentaire et s’engage très tôt en politique auprès du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), actif en Afrique-Équatoriale française. Il en dirige le journal AEF Nouvelle, un mensuel qui est aussi diffusé en France par le parti progressiste.
De 1948 à 1955, il est parlementaire au Conseil de la République et participe aux commissions de la France d’outre-mer puis de la production industrielle. Il défend en métropole les intérêts des populations autochtones et des territoires d’outre-mer, et aborde les questions de sécurité sociale et d’enseignement dans les colonies françaises en Afrique.
Dans le même temps, il poursuit un travail de romancier et de conteur consacré à la culture du Congo. Il publie au Congo trois recueils de légendes. En France, il publie plusieurs livres à Paris aux éditions Présence africaine, dont deux romans ayant propulsé sa plume : Cœur d’Aryenne en 1953 et La légende de Mfoumou Ma Mazono en 1954.
C’est en 1985 que Jean Malonga tire sa révérence. Il demeure jusqu’à lors le père de la littérature congolaise d’expression française.

II- Présentation de l’œuvre :

 

​​Cœur d’Aryenne a été publié en 1953 dans un numéro spécial de la revue Présence Africaine. Il a été réédité en 2013 par les éditions Hemar et Présence Africaine dans le cadre de la célébration des 60 ans de la littérature congolaise.

Cet ouvrage, préfacé par Henri Djombo, contient 191 pages subdivisées en trois parties : le sauvetage, la déclaration et la fin du monde. On y retrouve des personnages particuliers comme : Mambeké, le jeune homme noir et Solange, la jeune fille blanche. Les deux protagonistes sont au cœur de l’histoire. On y retrouve aussi Yoka et Tango (les parents de Mambeké) ; Omboko (sa sœur cadette) ; Roch Morax et Marie-Rose (les parents de Solange) ; ainsi que d’autres personnes secondaires.

 

III- Critique de l’ouvrage Cœur d’Aryenne :

 

Dès les premières pages de ce roman, le lecteur plonge dans une lecture simple et fluide. L’intrigue est captivante, puisqu’on parle d’une histoire d’amour quasiment impossible. Cœur d’Aryenne est écrit avec une tonalité tragique. En effet, le narrateur démontre passionnément sa connaissance des faits sociaux de son époque dans une position de focalisation zéro. Il aborde alors un point de vue omniscient. C’est ce qui rend son œuvre si attachante.

 

A- Un roman engagé.

 

Cœur d’Aryenne aborde le thème de l’amour inter-racial et l’injustice que les Blancs infligeaient aux noirs à l’époque coloniale. L’intrigue se déroule à Mossaka. Le père de la jeune française est un colon sans scrupule, raciste et alcoolique qui chosifie l’homme noir et le considère comme un être très inférieur à lui (Réf les pages 20 et 21). Il règne en maître absolu sur Mossaka (Réf les pages 40, 41, 42, 43, 45, 83 et 84). Quand il découvre bien plus tard que sa fille Solange est amoureuse de Mambeké et les deux ont un enfant, il libère sa hargne tout en étant conscient que le jeune Mambeké s’est occidentalisé (Réf : les pages 69 et 70). Solange n’échappera pas à la furie de son père et sera obligé de lui faire passer de la vie au trépas juste pour sauver son enfant (Réf page 183). Malheureusement, quand l’injustice rencontre l’amour et l’engagement, il peut se produire l’irréparable qui n’est autre qu’un sacrifice. Nous l’avons vu à l’ère de l’apartheid au temps de Nelson Mandela : le sang coulé ne pouvait plus être ramassé, mais la lutte engagée contre cette politique raciste a servi pour la liberté de tout citoyen noir en Afrique du Sud.

 

On remarque que derrière le comportement raciste du colon, Jean Malonga a voulu dénoncer toute la cruauté d’une culture dominante à laquelle résiste le jeune couple jusqu’à ce que leur amour défile au drame : Solange se donne la mort. Le sacrifice était bien trop lourd pour ses petites épaules (Réf page 184). Elle considéra que son acte était une abomination, un crime en terre étrangère. Épris de douleur pour le suicide de son amoureuse, Mambeké voulut faire autant, mais sa sœur Omboko interpella sa conscience au bon moment alors que celui-ci s’apprêtait à se jeter dans l’eau pour honorer le serment qu’il fit à sa dulcinée : celui de la rejoindre dans l’au-delà au cas où elle mourrait. Cela se produit sur la page 128 dont l’extrait ci-après :

 

-Je t’aime. Et toi ? répond simplement l’amoureux.

– Je te hais comme un démon, sanglote Solange.

– Parce que je t’ai volé ton Cœur d’Aryenne ?

– Tu es fou ; tu es bête et vilain, et je t’adore, c’est dommage.

– Oui, Solange, oui, je suis fou de toi. Je deviendrai, encore plus bête, ou je ne sais pas ce que je deviendrai quand je ne t’aurai plus, si tu m’abandonnais.

– Tue-moi si je te trompe et suicide-toi si je meurs.

– C’est promis, petite panthère adorée.

 

B- Le sens du titre Cœur d’Aryenne.

 

Le titre de ce roman fait allusion à la jeune fille blanche, Solange. C’est une Aryenne qui n’a rien de commun avec sa race du point de vue de sa mentalité et de sa moralité. Son amour pour Mambeké en est la preuve. On le comprend bien à la page 119 où les deux jeunes se déclarent leur amour. Solange arrache son cœur d’Aryenne et l’offre à Mambeké, symboliquement, pour signifier qu’il doit désormais la considérer comme sa femme et reconnaitre que cette blanche de la race Aryenne a un cœur rempli de bonté, d’amour et de bienfaisance.

Historiquement, la race humaine aryenne tire son origine de l’Allemagne où elle était considérée comme supérieure à toute autre race et se devait de conserver sa pureté. Donc, Cœur d’Aryenne est un hommage au cœur de Solange, la jeune fille blanche citoyenne du monde.

– Tais-toi. Je ne suis pas fille de l’homme. Je suis la fille de la femme, l’emblème du sacrifice. C’est toi, gros naïf, qui es le fils de l’homme et qui m’a vendu ton droit de fils de l’homme, ton droit d’aînesse, dominé, fasciné et subjugué que tu étais, par ton imbécile, ton faux et négatif complexe d’infériorité. Je l’ai tué, moi, ton sale complexe, ce serpent visqueux, ce garrot qui t’entourait la gorge, t’empêchait de parler, de m’ouvrir ton cœur. Tu me demandes si je sais ce qui nous reste à faire ? Eh bien ! oui, je le sais. Je vais devenir tout simplement ta femme devant Dieu. Je viens de tuer en moi l’Aryenne en même temps que j’écrasais ton complexe. Maintenant je t’offre ce cœur d’Aryenne. Dis, veux-tu de ce cœur ? J’ai dit que je deviendrai ta femme devant Dieu, devant les oiseaux, devant les fleurs des champs, devant le ciel et les eaux du Congo, car je sais hélas ! que cela me sera impossible de le devenir devant les hommes animalisés dans leurs égoïstes et vils préjugés raciaux. Mais que m’importe à moi la réaction de la Foudre, du Feu et du Déluge, si j’ai la ferme conviction que tu m’aimes. Allons ! cher époux, viens maintenant embrasser celle qui fut la fille de l’homme, l’Aryenne inaccessible qui n’est plus que la fille de la femme qui te donne son cœur, ton épouse qui sera toute à toi quand tu le demanderas, quand tu le voudras, quand tu n’auras plus peur de la femme blanche à laquelle je viens d’arracher son cœur d’Aryenne pour le remplacer par celui de la femme.

 

C- Le message de Jean Malonga à l’humanité.

 

 

Coeur d’Aryenne est un roman de lutte qui dénonce le racisme sous toutes ses formes. Par conséquent, on peut considérer que c’est un récit d’engagement qui stigmatise le racisme opéré à l’époque coloniale. À l’ère où la lutte contre le racisme redevient de plus en plus d’actualité, cet ouvrage inspire aux peuples du monde la coexistence pacifique des communautés et la réconciliation des races.

Par ailleurs, de cet ouvrage se dégage un message d’unité nationale qui pour moi, est un bel exemple à suivre. Originaire du Pool, Jean Malonga parle de Mossaka avec élégance comme si c’était son village natal. On décrypte une alerte contre le tribalisme dans un élan patriotique.

 

D- Exploitation de la langue  »Likouba » dans l’ouvrage :

 

C’est une langue parlée par les habitants de Mossaka : une ville située dans la région de la cuvette au Congo Brazzaville. Jean Malonga cite quelques phrases y faisant référence :

– Mouana ondelé okiti o mai = l’enfant du blanc est tombé à l’eau.

– Io, na oki, ondelé = oui, j’ai bien compris, blanc.

– Ondelé-N’dombé = Blanc-Noir (titre péjoratif dont usent les africains pour désigner les évolués).

– Mobalé-O-Tembé = le joli mâle.

 

III- Avis personnel :

 

Cœur d’Aryenne peut faire l’œuvre d’une adaptation cinématographique. Les discours développés sur chaque page sont très intéressants et pertinents. Je pense que les réalisateurs congolais et d’ailleurs peuvent se pencher sur un tel projet. Avec des acteurs talentueux, nous serons certainement impressionnés par la rhétorique de certains personnages. J’ai le sentiment que cela fera un très bon film qui parle à tous les époques. Au cours de la lecture, j’ai ressenti des émotions diverses qui peuvent être bien transmises par un bon jeu d’acteur. Il s’agit de : la joie, la tristesse, la peur, la colère, le désir…

 

IV- Références :

 

Jean Malonga, Coeur d’Aryenne, Paris, Présence Africaine, 2013.

Prix : 7 euros.

 

 

Juvénale OBILI

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